La presse et les sinagots : XIXe et XXe s
Crevette , fraîcheur et pécheresses… Coupures de presse collectées par Y.Régent Année1865 –La crevette est l’un de nos crustacés les plus délicats et les plus appétissants.–Beaucoup en raffolent; nul ne s’en lasse et ceux qui en sont privés lui conservent un souvenir fort touchant. Elle mérite certes qu’on lui consacre quelques lignes, ne fut-ce que pour flétrir le procédé barbare dont elle est l’objet parmi nous. La crevette doit être mangée fraîche. elle doit avoir conservé cette humidité saline qui fait qu’elle porte sa sauce avec elle, comme pourrait dire un cordon bleu. C’est là une donnée élémentaire. Les femmes de pêcheurs qui l’apportent sur nos marchés et que j’appellerais volontiers, en cette circonstance, des pécheresses, le savent très bien ; aussi ne négligent-elles aucun artifice pour tromper les consommateurs sans défiance. Aimables gourmets qui, après l’avoir dépouillée de son enveloppe transparente, attaquez dextrement la crevette avec une si noble ardeur et sans que vos incisives ne témoignent la moindre lassitude; savez-vous quel est ce liquide qu’au moyen d’une légère aspiration vous allez, en véritables connaisseurs, chercher jusque dans la partie abdominale? A en juger par la volupté avec laquelle vous le savourez derechef, on voit bien que vous ne vous doutez guère de ce qu’il en est. Il m’en coûte de vous détromper; mais, au risque de jeter une défaveur momentanée sur votre mets favori, je vous dirai la vérité. Car aux grands maux les grands remèdes. N’attendez cependant pas de moi une analyse minutieuse des eaux de notre port. Vous savez , tout comme moi, que jamais elles ne brillèrent par leur limpidité. Besoin n’est de vous dire tout ce qui y tombe. Ce serait franchement abuser de la permission; Or, voici ce qui se passe tous les jours de marché: les marchandes de crevettes, de Séné ou d’ailleurs, arrivées au terme de leur navigation, avant de quitter le bateau qui les a transportées, elles et les produits de leur pêche, ne manquent jamais de donner à leur marchandise un copieux baptême; non pas un de ces baptêmes anodins, mais une véritable immersion. Si vous croyez à quelque méchante invention de ma part, trouvez vous sur la place du Morbihan à l’arrivée des bateaux, c’est-à-dire, pendant la saison d’été, entre quatre et six heures du matin, suivant l’heure de la marée. Et c’est ainsi qu’on prétend faire jouer à l’eau de notre port le rôle d’un agent conservateur! Pratique dégoûtante et fort peu hygiénique assurément; pratique absurde qui va tout droit contre le but que l’on se propose et qui pourrait servir à expliquer la facilité avec laquelle notre cher crustacé se décompose souvent avant d’avoir figuré sur nos tables. Que les amateurs de crevettes y songent! qu’ils cherchent un remède à l’abus que nous leur signalons! Croit-on par exemple, qu’il serait difficile à chaque bateau de s’approvisionner de la quantité d’eau de mer nécessaire pour entretenir la fraîcheur du poisson transporté? B. Où l’on voit que les mauvaises pratiques ne datent pas d’aujourd’hui et que le féminin de pêcheur qui se dit pêcheuse se voit ici qualifié de pécheresse, pas moins, pour avoir « rafraîchi » ses crevettes en les trempant dans l’eau du port… Une dizaine d’années avant l’invention des microbes par Louis Pasteur, belle intuition! Dommage que le dénonciateur soit resté anonyme…on ne pourra l’en féliciter.
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